

En l'espace de trois jours, deux figures de la pensée critique et de la création engagée dans le monde arabe se sont éteintes.
Le 26 juillet, Ziad Rahbani a refermé son piano. L’homme-orchestre qui faisait danser les mots avec la fureur des peuples et l’ironie des heures troubles, a tiré sa révérence à 69 ans. Sa musique, faite d’âme blessée et de jazz révolté, flottait encore dans les rues de Beyrouth lorsque, trois jours plus tard, Jean Zaganiaris, écrivain et sociologue français installé au Maroc, choisissait à son tour le retrait discret à l’âgé de 54 ans. Deux voix, deux continents, deux formes d'engagement, mais un même souffle : celui de l'insoumission intellectuelle, de la parole qui résiste, de la création qui dérange.
L’un avait la scène, l’autre la plume ; l’un faisait grincer le système à coups de satire musicale, avec son piano qui respire le Levant et son ironie qui masque une tendresse profonde pour son peuple. L’autre, démineur des normes sociales, bousculaient les évidences dans un Maroc qu’il a aimé plus que tout. Les deux hommes ne se connaissaient pas, et pourtant, entre eux, il existe une parenté invisible : celle de l’intellectuel indiscipliné qui donnait du relief au monde.
Ziad composait pour réveiller. Jean écrivait pour questionner : Le compositeur de « Ana moch Kafer » mettait en musique la désillusion arabe, dénonçait la guerre civile, la corruption politique, le sectarisme religieux. L’auteur de « Adam Bofary » interrogeait les discours dominants, décryptait les représentations sociales, s’intéressait aux genres et aux transidentités dans la littérature. Tous deux invitaient à penser autrement, à ne pas céder aux certitudes, à tenir bon face au danger des conformismes.
Le destin les a fait partir à quelques jours d’écart, comme si ce mois de juillet avait voulu emporter un fragment de chaque rive : le souffle musical d’Al Machriq et la pensée critique d’Al Maghrib. Mais, dans le silence de leurs absences, Ziad et Jean nous lèguent un héritage : celui d'une attention vigilante, d'une écoute active du monde, d'un refus persistant de l'oubli et de la soumission.
Que la terre leur soit légère à tous deux.
Par : Tarik HILAL
Profitant de son passage à Casablanca, la chanteuse...