

Dans un vestiaire silencieux, juste avant un match décisif, elle ajuste son brassard sans dire un mot. Pas besoin. Les regards convergent vers elle avec une évidence tranquille. Ghizlane Chebbak, capitaine des Lionnes de l’Atlas, est de ces sportives qui n’ont pas besoin d’élever la voix pour être écoutées. Elle est là, solide, présente, engagée. Et c’est assez.
Son histoire n’a pourtant rien d’un conte improvisé. Elle commence à Casablanca, dans une maison où le football fait partie du décor. Larbi Chebbak, son père, a porté le maillot des Lions dans les années 70. À la maison, on parle tactique, on regarde des matches, on commente les performances. Très tôt, Ghizlane s’inscrit dans cette continuité familiale. Elle joue avec les garçons du quartier, souvent plus âgés, et s’impose par la maîtrise plus que par la force. Rien n’est facile, mais tout est clair : elle ne veut pas seulement jouer, elle veut progresser, gagner, porter les couleurs du Maroc.
Formée à l’AS FAR, elle y construit l’essentiel de sa carrière. Une fidélité rare dans le football moderne, qu’elle justifie sans emphase : « C’est un club qui m’a permis de devenir la joueuse que je suis. » Avec les Militaires, elle aligne les titres : 10 fois championne du Maroc, autant de Coupes du Trône, et surtout la Ligue des Champions africaine en 2022, une première pour un club marocain. Ce sacre continental reste l’un des souvenirs les plus marquants de sa carrière : « Ce n’était pas qu’un trophée, c’était une reconnaissance pour tout ce qu’on construit depuis des années dans l’ombre. »
Son rayonnement dépasse bientôt les frontières. Lors de la CAN Féminine 2022, disputée au Maroc, Chebbak est élue meilleure joueuse du tournoi. Elle y brille par sa technique, son sang-froid et ce sens du collectif qui fait d’elle une véritable cheffe de file. Mais c’est lors de la Coupe du Monde 2023, en Australie et Nouvelle-Zélande, que son nom s’inscrit dans l’histoire : les Lionnes deviennent la première équipe arabe à atteindre les huitièmes de finale. Une performance qui résonne dans tout le monde arabe et place le football féminin marocain sur la carte.
Dans les mois qui suivent, elle franchit un cap personnel : elle rejoint Levante Las Planas, en première division espagnole. À 33 ans, elle choisit de sortir de sa zone de confort, d’évoluer dans un environnement nouveau, exigeant, parfois déroutant. Une décision mûrie, prise avec lucidité : « Je voulais montrer que le football marocain peut exister ailleurs, que nous avons notre place en Europe. »
Mais au fond, Ghizlane Chebbak ne cherche pas la lumière. Ce qu’elle veut, c’est continuer à ouvrir des portes. Quand elle rentre au Maroc, elle s’arrête souvent parler avec de jeunes joueuses. Elle les écoute plus qu’elle ne conseille. Elle sait que le plus dur n’est pas d’aimer ce sport, mais d’y rester quand les moyens manquent, quand les regards pèsent, quand les opportunités sont rares. Elle-même a traversé ces moments de doute. Elle les garde pour elle. Ce qu’elle offre, c’est une forme de présence rassurante. Une trajectoire possible.
Ce qui frappe chez elle, c’est sa discrétion assumée. Elle pourrait capitaliser davantage sur sa notoriété, faire le tour des plateaux, monétiser son image. Elle préfère parler football, parler terrain. Cela ne l’empêche pas de prendre position. Elle milite pour une meilleure structuration des ligues féminines, plaide pour plus d’investissement dans la formation, insiste sur l’importance de médiatiser les compétitions nationales. Mais toujours avec mesure, avec respect.
Alors que la CAN Féminine 2025 a déjà commencé, elle se prépare avec la même intensité qu’à ses débuts. Rien n’est acquis, tout est à regagner. Elle le sait. Elle l’a toujours su. Et c’est peut-être cela, sa plus grande force : une constance, une capacité à être là, encore et encore, sans tapage, mais avec exigence.
Dans un pays où le sport féminin est encore en construction, Ghizlane Chebbak fait figure de repère. Elle n’a pas cherché à être un modèle. Elle l’est devenue, à force de rigueur, de patience, de résultats. Pour les petites filles qui la croisent dans les stades comme pour les coéquipières qui s’alignent à ses côtés, elle incarne une fierté discrète mais tenace. Celle d’un Maroc qui avance, avec ses femmes, et grâce à elles.
Profitant de son passage à Casablanca, la chanteuse...